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V1-Chapitre 12 : Une malédiction qui coule dans le sang maudit

  Une nuit où le ciel est recouvert, où l’extérieur est sombre comme une abysse sans fond, Albert descend lentement les escaliers. Tout le monde dort. Le bois grince sous ses pas, et l’air semble figé, comme suspendu dans une attente. Il souffre d’insomnie depuis ses premiers sympt?mes, chaque nuit son esprit refuse de s’éteindre pour se reposer. Il est sur ses gardes, contre quoi exactement ? Il ne sait pas.

  Une sensation de froid glisse le long de sa nuque. Il se retourne, persuadé d’avoir entendu un soupir. Mais rien. Juste l’obscurité dénudée, comme un souffle retenu. Il reste immobile un long moment, scrutant les ombres, puis reprend sa marche, le c?ur cognant plus fort qu’il ne l’avoue.

  Un matin, il se retrouve avec une tasse encore chaude entre les mains. Il est assis dans son fauteuil, dans le salon. Il ne se souvient pas de comment il est arrivé là. Un reste de thé fume doucement, éléna fait du bruit dans la cuisine, préparant sans doute le déjeuner. Il reste figé, les yeux sur la céramique, une sueur moite sur la paume. Puis, un murmure infime, comme un fr?lement sur la porcelaine, lui fait lacher prise. La tasse se brise en tombant. Il recule d’un pas. Se penche. Ramasse les morceaux. Et ne dit rien.

  Quelques jours plus tard, alors qu’il se rase, un frisson le prend. Il lève les yeux vers son reflet dans le miroir, mais ses traits lui paraissent changer. Dans le coin du miroir, une voile noire, fugace, semble se dessiner derrière lui dans le coin de la salle de toilette. Il se retourne d’un geste brusque. Personne. Pourtant, l’écho d’un rire glacial lui reste dans la gorge pendant de longues minutes.

  Chaque matin, il sent quelque chose. Une odeur douce au départ, presque sucrée, puis qui tourne lentement en moisi, en fer, en terre remuée. Il vérifie les pièces, les fenêtres, les conduits. Rien. Et pourtant, chaque jour, cette odeur revient. Accrochée à lui. à sa peau. Comme une marque.

  Souvent, en se cachant, il se tient la poitrine en se supportant sur son autre main. La douleur résonne jusque dans ses bras et son cou, avant que ses muscles soient pris de spasmes courts, mais nombreux. Il commence à ressentir que quelque chose l’observe, une présence qui se manifeste de plus en plus souvent. Elle hante ses pensées et appara?t partout, à tout moment.

  Le temps devient brumeux, et un mois s’était écoulé depuis les premières le?ons d’arithmétique. Annabelle apprenait avec une persévérance constante, malgré les obstacles que la logique imposait à son esprit rêveur. Mais chez Albert, la décrépitude s’accélérait. Les vertiges, les douleurs thoraciques, les essoufflements l’assaillaient chaque jour un peu plus, comme si son corps se vidait de l’intérieur. Et toujours, cette présence. Tapie dans l’ombre, silencieuse et affamée. Il n’avait plus besoin de la voir pour savoir qu’elle était là.

  Elle l’attendait.

  Dans son reflet brouillé, dans les vitres au crépuscule, dans les couloirs déserts. Elle se nourrissait lentement de lui. Une charognarde implacable, s’acharnant sur sa carcasse encore vivante.

  Il étouffait.

  — Papa? Tu m’écoutes?

  Annabelle était plantée devant lui, ses petits doigts serrant le carnet de chiffres aux coins écornés. Elle avait cette expression un peu exaspérée de ne pas se faire écouter. Albert redressa péniblement la tête, les muscles de son cou tendus comme du fil de fer.

  — Excuse-moi... Tu disais?

  — J’ai compté jusqu’à cent ! Toute seule. Tu veux que je recommence?

  Son enthousiasme brisait quelque chose en lui. Il sourit faiblement, mais le coin de ses lèvres tressaillit.

  — Bien s?r. Montre-moi.

  Elle prit une inspiration, mais s’arrêta à ? vingt-sept ?. Elle plissa les yeux, devint pensive. Il lui fallut un instant pour revenir à lui.

  — Papa, pourquoi t’as les cheveux bizarres?

  Il porta machinalement la main à sa tempe. Le poivre et sel habituel avait pris un éclat plus blanc, presque spectral. Il toussa. Un son creux, qui résonna dans sa poitrine.

  — C’est juste l’age, ma chérie.

  — Mais t’es pas vieux.

  Elle s’approcha, posant sa main sur son genou.

  — Et tes yeux... on dirait que t’es toujours fatigué.

  Des cernes visibles creusaient son visage désormais.

  Il détourna le regard. La lumière du matin tombait en biais sur le parquet, dessinant des formes mouvantes sur les murs. Parmi elles, il crut voir l’ombre familière d’un tissu noir, flottant derrière lui.

  éléna entra alors, portant une assiette de biscuits.

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  — Elle ne te lache pas, hein? dit-elle avec un certain détachement en regardant Annabelle.

  — Elle a de qui tenir, répondit-il en for?ant un sourire.

  éléna le regarda. Longtemps. Quelque chose passait entre eux, un accord tacite, muet. Elle savait. Pas tout. Mais elle voyait le changement. Les spasmes incontr?lés. La perte de poids. La peur.

  — Tu dois voir quelqu’un, Albert.

  Il secoua la tête.

  — Tu sais bien que ce n’est pas un médecin qu’il me faut.

  — Alors parle-moi. Bon sang, parle-moi enfin.

  Le ton avait claqué. Annabelle se figea, confuse, sentant que le sol venait de se dérober sous leurs pieds.

  — Pourquoi tu cries? demanda-t-elle d’une voix fine.

  — On ne crie pas, Annabelle. C’est... c’est une grande conversation, c’est tout, murmura éléna.

  Albert se leva d’un bond, mais sa jambe faiblit. Il s’appuya à la table. Une sueur froide couvrait son front. Derrière lui, dans un angle du miroir, une silhouette floue, encapuchonnée, semblait s’approcher. Sa main invisible s’étendait vers lui.

  — Papa!

  Annabelle courut vers lui, mais il leva une main.

  — Je vais bien. Reste là.

  Mais il ne tenait plus debout. Il tomba à genoux, suffoquant.

  L’air s’était figé dans la pièce. Comme si le temps se contractait, et cette fois, ce n’était pas une odeur de pourriture, mais une odeur de mort qui vint.

  Et dans ce silence irréel, un gémissement, venu de nulle part, s’échappa. Un soupir de plaisir. Personne ne l’entendit. Mais Albert, lui, le sentit. Il le sentit s’infiltrer dans ses poumons. L’entité était là. Encore.

  Et elle avait faim.

  Le lendemain, le silence de la pièce était oppressant, car Albert refusait de parler. Le seul son était celui du crayon d’Annabelle glissant sur le papier, ponctué parfois de ses petits soupirs d’inquiétude en le regardant du coin de l’?il. Albert l’observait, le menton appuyé sur sa main, son regard embué d’un amour discret.

  Elle leva les yeux vers lui, le surprit à la regarder.

  — Quoi? demanda-t-elle avec un sourire forcé.

  — Rien... Tu as grandi, c’est tout.

  Elle haussa les épaules, faussement indifférente, avant de reprendre sa tache. Albert, lui, sentit une brève nausée monter dans sa gorge. Un battement anormal dans sa tempe. Puis, rien. Un vide. Comme si le monde avait ralenti d’un cran.

  Son regard glissa vers la fenêtre. Le reflet dans la vitre lui sembla... dédoublé.

  Il secoua la tête. Pas maintenant.

  Mais quelque chose — ou quelqu’un — s’était peut-être déjà assis entre eux, sans faire de bruit.

  Le ciel dehors était d’un gris stagnant, faisant régner une humeur maussade. Dans le bureau, l’après-midi s’étirait lentement. Albert, assis à sa place habituelle, observait Annabelle avec une tendresse lasse tandis qu’elle tentait de résoudre un problème de mathématiques griffonné sur une feuille. Elle fron?ait les sourcils.

  Il esquissa un sourire fatigué. Malgré tout, malgré le poids dans sa poitrine, malgré la noirceur qu’il sentait poindre, il aimait ces moments. Ces rares instants de calme.

  Mais la paix fut brisée.

  Un frisson parcourut ses bras. Pas un frisson de froid, non. C’était... vivant. Une chaleur étrange, pulsatile, montait sous sa peau. Il baissa les yeux.

  Ses veines.

  Il cligna des yeux, espérant avoir mal vu.

  Les lignes bleutées apparentes sous sa peau blafarde s’étaient assombries, virant au gris cendré. Sous la peau, quelque chose changeait, lentement, insidieusement. Le noir s’insinuait, remontait. Une teinte d’encre s’étendait comme une marée lente, irréversible.

  Il recula d’un geste instinctif, le souffle coupé.

  — Papa? demanda Annabelle, sa voix soudain tremblante.

  Il n’eut pas le temps de répondre.

  Elle bondit de sa chaise, la faisant tomber derrière elle dans un grand fracas. Ses yeux s’étaient agrandis d’effroi.

  — Papa, c’est quoi ?a?!

  Elle pointait ses bras. Il retroussa précipitamment ses manches — et figea.

  Ses avant-bras étaient parcourus de veines noires, épaissies, battantes, presque en relief. Une douleur sourde pulsa au creux de ses muscles. C’était exactement ce qu’il avait vu chez sa mère. Exactement comme ce jour où, tout jeune, il avait surpris son regard hagard devant le miroir, les mêmes stries sombres serpentant le long de son cou.

  Annabelle approcha d’un pas, les mains tremblantes, les larmes déjà aux paupières.

  — C’est pas normal, Papa... c’est pas normal du tout... Qu’est-ce que t’as?

  Albert serra les dents. Il voulut lui dire que tout allait bien, que ce n’était rien. Mais son corps le trahissait.

  La noirceur remontait maintenant vers ses épaules. Il ressentait une br?lure, non pas en surface, mais dans ses veines, dans sa chair même. Une corruption. Son sang portait la trace. La trace de cette chose. Cette entité sans nom. La même qui avait rongé sa mère, la même qui planait désormais au-dessus de sa propre fille.

  Il tenta de se lever, tituba. Ses jambes tremblaient.

  — éloigne-toi, Annabelle.

  Sa voix était rauque, étranglée.

  Mais elle ne bougea pas.

  — C’est elle, hein? souffla-t-elle. Celle qui te rend malade... Je le sais. Je la sens.

  Albert se figea. Comment pouvait-elle en être déjà consciente alors qu'il ne l'avait jamais su avant qu'elle là soit à siffoner sa vitalité? Un silence pesant tomba sur la pièce. Son regard croisa celui de sa fille. Elle savait. Elle ne la voyait pas, mais elle la pressentait. Cette chose tapie, insatiable, invisible, mais terriblement réelle. Elle la sentait d'une manière qui le dépassait.

  — Tu dois me dire, Papa ! cria-t-elle. C’est quoi qui vit en toi?!

  Il voulut parler, hurler, pleurer, mais rien ne sortit. Il posa la main sur sa gorge. Ses veines noires s’y étaient déjà faufilées.

  — Ce n’est pas... moi, parvint-il à murmurer.

  Puis, dans un geste désespéré, il tira sur le col de sa chemise. Annabelle vit alors le réseau noir étendu jusqu’à la base de son cou, presque jusqu’à sa machoire.

  Elle recula d’un pas, horrifiée.

  Ses yeux, d’un bleu clair et pur, tout comme ceux de son père, se remplirent d’un mélange de peur et de détresse.

  — Tu vas mourir si ?a continue, chuchota-t-elle.

  Et dans le silence suivant, Albert crut entendre quelque chose. Un souffle. Un rire. Un murmure étouffé derrière les murs. L’entité était là. Elle n’avait pas besoin de frapper. Elle attendait. Elle s’invitait doucement dans son sang. Même avec la protection du collier, qui la repoussait à chaque attaque, elle insistait.

  Une malédiction héréditaire. Un poison transmis par le sang. Une damnation qu’il ne comprenait pas, mais qu’il reconnaissait trop bien.

  (Merci d’avoir lu ce chapitre jusqu’au bout. Si vous avez aimé l’ambiance, si quelque chose vous a marqué ou si une scène vous est restée en tête, je serais ravi de lire vos impressions en commentaire.

  Un petit follow permet aussi de ne pas rater la suite… et elle risque de vous surprendre.

  à bient?t, et encore merci d’être là.)

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