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Une découverte hivernale

  Mero avait découvert cet endroit l’hiver précédent, un secret qu’il chérissait comme un trésor rare. Dans son royaume natal de Sel, un archipel baigné par l’Océan Vert, le climat demeurait éternellement doux, caressé par un soleil généreux et les embruns salés des vagues turquoise. Là-bas, les plages de sable blanc s’étendaient à perte de vue, bordées de palmiers ondulants sous des cieux d’azur, et l’eau tiède léchait les rivages avec une constance apaisante. L’idée d’un fleuve gelé, d’une étendue d’eau emprisonnée sous une couche de glace scintillante, lui était aussi étrangère que les récifs de corail l’auraient été pour un montagnard des Tempelunes. Ce spectacle, à la fois austère et saisissant de beauté, continuait de l’émerveiller, même après plusieurs mois passés loin des rivages familiers de son enfance.

  Ce jour-là, l’hiver impérial déployait son emprise sur la capitale Mor avec une froideur tranchante. Le fleuve qui traversait la ville, un large ruban d’eau habituellement animé par le passage des barges et des pêcheurs, s’était figé en une surface lisse et miroitante, reflétant le ciel pale comme un miroir d’argent. Autour de ses rives, le paysage s’était métamorphosé en une toile immaculée : les arbres dénudés, leurs branches alourdies par des stalactites de givre, dressaient des silhouettes squelettiques contre l’horizon blanchi. La plaine qui s’étendait à l’est de la cordillère Tempelune, visible au loin, disparaissait sous une couche de neige intacte, ponctuée ?à et là par les fumées grises des cheminées des villages voisins. Au-dessus, un soleil timide per?ait les nuages bas, projetant une lumière froide et diffuse qui semblait hésiter à réchauffer la terre.

  Sven et Dorian, deux camarades de Mero à l’école impériale de Mor, s’élancent sur la glace avec une agilité teintée de maladresse juvénile. Leurs patins, des lames métalliques fixées à leurs bottes, tracent des sillons irréguliers sur la surface gelée, laissant derrière eux des arabesques éphémères. Leurs rires éclatent dans l’air cristallin, portés par une brise mordante qui soulève de fins tourbillons de neige poudreuse. Inséparables et animés d’une rivalité amicale, les deux gar?ons semblent bien décidés à prouver leur supériorité.

  ? Avoue, Dorian, tu ne fais pas le poids ! ? lance Sven, exécutant un virage serré avec une assurance exagérée, ses cheveux blonds s’échappant de son bonnet de laine.

  ? Attends de voir ?a ! ? réplique Dorian, ses yeux pétillants de défi alors qu’il prend de la vitesse dans un élan audacieux.

  Mero, prudemment posté sur la rive gelée, observe leur joute avec un sourire discret. Il n’a jamais patiné dans son enfance – les plages de Sel, avec leurs vagues tièdes et leur sable br?lant, n’offraient ni glace ni occasion d’apprendre – et préfère rester spectateur plut?t que de risquer une chute embarrassante. Le fleuve gelé, bordé de berges enneigées où des roseaux secs dépassent comme des sentinelles figées, renvoie la lumière pale du soleil dans un éclat presque aveuglant. Ce miroir naturel illumine les silhouettes mouvantes des patineurs, tandis que le vent transporte une odeur de bois br?lé venue des foyers allumés dans la ville proche. Quelques élèves de l’école se joignent à la scène : certains, novices, tentent de glisser avec des gestes hésitants, leurs bras moulinant pour garder l’équilibre, tandis que d’autres, emmitouflés dans des manteaux de laine et des écharpes épaisses, se contentent d’admirer, leurs souffles formant de petits nuages dans l’air glacé.

  Soudain, Sven, emporté par son élan, tente une figure ambitieuse. Il lève une jambe dans un mouvement théatral, visant à impressionner, mais perd l’équilibre et s’effondre lourdement sur la glace dans un craquement sonore. Un éclat de rire général retentit, ricochant contre les berges. Dorian, hilare, profite de l’occasion pour le dépasser et s’arrête avec une glissade exagérée, levant les bras en signe de triomphe comme un champion proclamant sa victoire.

  ? ?a ne compte pas ! ? grogne Sven en se redressant, frottant son flanc endolori mais affichant un sourire malicieux.

  ? Bien s?r que si ! ? rétorque Dorian, savourant son succès avec une jubilation comique, son souffle dessinant des volutes blanches dans l’air.

  Leur défi se prolonge ainsi, rythmé par des taquineries et des glissades, sous le regard amusé de Mero. Mais une sensation discrète interrompt ses pensées. Une présence se manifeste derrière lui, un craquement léger sur la neige tassée. En se retournant, il découvre un membre du personnel de l’école, engoncé dans un manteau de laine gris dont le col relevé protège à peine son visage rougi par le froid. L’homme avance d’un pas mesuré, tenant une missive dans ses mains gantées.

  ? Un message pour vous, Monseigneur, annonce-t-il avec une déférence polie, sa voix légèrement étouffée par l’écharpe qui couvre son menton. Il vient du secrétariat. ?

  Intrigué, Mero saisit la lettre scellée et brise le cachet de cire d’un geste rapide, ses doigts engourdis par le froid luttant contre la rigidité du papier. Les mots, rédigés dans une écriture élégante, l’informent que le directeur de l’école impériale souhaite le rencontrer le lendemain matin. Une convocation aussi directe est inhabituelle – les élèves ne sont que rarement appelés personnellement par une figure aussi haute –, et cette nouvelle éveille en lui une curiosité mêlée d’une pointe d’appréhension.

  Le reste de la journée, Mero ne peut s’empêcher de ruminer cette énigme. Assis sur un banc de bois près de la rive, il regarde le soleil décliner derrière les crêtes enneigées de la cordillère Tempelune, dont les sommets acérés percent le ciel comme des lances gigantesques. La lumière s’affaiblit, peignant le paysage d’ombres longues et bleutées, tandis que le froid s’intensifie, mordant ses joues malgré l’écharpe qu’il a resserrée autour de son cou. Il échafaude des hypothèses – une réprimande pour une faute oubliée ? Une mission liée à son statut de prince de Sel ? – mais aucune ne semble convaincante. Pour chasser ces pensées et profiter de la compagnie de ses amis, il propose une idée qui germe dans son esprit depuis midi.

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  ? Et si nous allions manger une raclette ce soir ? Il y a une auberge qui vient d’ouvrir, pas loin d’ici, près du quartier des artisans. On dit qu’ils servent un plat montagnard avec du fromage fondu. ?

  Sven et Dorian accueillent la suggestion avec un enthousiasme immédiat, leurs visages s’illuminant à l’idée d’un repas chaud après cette journée glaciale. Mais chacun saisit l’occasion pour y ajouter une touche personnelle.

  ? Ce serait impoli de ne pas inviter ma s?ur, éléanor ?, déclare Dorian avec un sourire espiègle, lan?ant un regard provocateur à Sven, comme s’il testait sa réaction.

  ? Et la princesse Ki mérite une place parmi nous, non ? Une invitée royale, ?a se doit d’être bien intégrée ?, ajoute Sven, jetant à Mero un coup d’?il faussement innocent, ses yeux pétillant de malice.

  Mero lève les yeux au ciel, amusé par leurs manigances. Il sait que refuser ne ferait qu’attiser leur détermination, et il cède avec un haussement d’épaules résigné. Quelques heures plus tard, ils se retrouvent tous les cinq dans l’auberge, un refuge niché au bord du fleuve gelé, à l’orée du quartier des artisans de Mor.

  L’établissement, construit en pierre brute et en bois sombre, exhale une rusticité accueillante. Sa fa?ade, ornée de fenêtres aux vitres givrées, laisse filtrer une lumière dorée qui contraste avec la pénombre extérieure. à l’intérieur, l’atmosphère est chaleureuse : un grand foyer occupe le centre, ses flammes dansant avec vigueur et projetant des ombres mouvantes sur les murs tapissés de panneaux de chêne. Des tables massives, taillées dans un bois brut et patiné par le temps, s’alignent près des fenêtres, offrant une vue imprenable sur le fleuve scintillant sous la lueur naissante de la lune. Des lanternes suspendues diffusent une lumière tamisée, tandis que l’odeur du fromage fondu, mêlée de notes d’épices et de viande séchée, emplit l’air d’une promesse alléchante. Cette spécialité, venue des régions montagneuses du nord-ouest de l’Empire, est nouvelle pour Mero, mais l’idée de la découvrir en bonne compagnie le réconforte.

  éléanor, la s?ur de Dorian, s’installe avec une énergie communicative, ses remarques pétillantes animant la tablée comme un feu d’artifice verbal. à ses c?tés, la princesse Ki, plus réservée, observe la salle avec une curiosité discrète, ses doigts fins effleurant le bord de la table dans un geste presque inconscient. Lorsqu’on leur apporte les assiettes – des pommes de terre fumantes couronnées de fromage fondant et accompagnées de tranches de viande séchée –, Ki fronce légèrement les sourcils, intriguée par ce plat inconnu.

  ? J’avoue, c’est la première fois que je mange quelque chose comme ?a ?, dit-elle, son regard scrutant l’assiette avec une hésitation mêlée de fascination.

  Sven, déjà armé de sa fourchette, esquisse un petit rire. ? Il y a une première fois à tout ! Regarde, tu prends le fromage fondu et tu le racles comme ?a… ? explique-t-il, joignant le geste à la parole dans une démonstration exagérée qui fait sourire ses compagnons.

  Le d?ner se déroule dans une ambiance détendue. Les conversations vagabondent entre les anecdotes sur les cours à l’école impériale, les taquineries sur la compétition de patinage et les récits des traditions culinaires de leurs royaumes respectifs – le poisson grillé de Sel pour Mero, les rago?ts épicés de Fine pour Dorian, les viandes r?ties de Fer pour Sven. Pourtant, malgré la chaleur de l’auberge et la camaraderie qui règne, une pensée persiste dans l’esprit de Mero : pourquoi le directeur veut-il le voir ? Cette question flotte comme une ombre discrète, tapie derrière les rires et les tintements des couverts.

  Tout en savourant une bouchée de fromage fondant, dont la texture riche contraste avec la fra?cheur de la viande séchée, Mero lance un regard malicieux à ses amis, décidé à détourner son esprit de cette énigme. Avec un sourire en coin, il se penche légèrement vers Dorian.

  ? Alors, Dorian, toi qui disais que les princesses du Nord étaient trop rigides, on dirait que Ki t’a fait changer d’avis, non ? ?

  Dorian, pris au dépourvu en pleine dégustation, manque de s’étouffer et tousse bruyamment, envoyant une miette de pomme de terre voler sur la table. éléanor éclate d’un rire sonore, tandis que Ki arque un sourcil, un sourire amusé naissant sur ses lèvres pales.

  ? Oh ? ? répond-elle d’une voix douce mais teintée d’ironie. ? Est-ce ainsi que tu nous vois, Dorian ? ?

  ? Attends, ce n’est pas ce que je voulais dire ! ? proteste-t-il, son visage virant au rose sous l’effet de l’embarras et de la chaleur du feu.

  Sven, ravi de l’ouverture, saute sur l’occasion pour riposter. ? Et toi, éléanor, ma chère cavalière, quelle impression te fait notre ami Mero ? Il nous a observés toute la soirée avec une insistance suspecte… Peut-être qu’il se sent seul sans sa Mandarine ? ?

  éléanor, jouant le jeu avec une malice espiègle, hoche la tête d’un air faussement sérieux. ? Oh, peut-être bien. C’est triste, un bal sans cavalière. ?

  Mero lève les yeux au ciel, feignant l’exaspération pour masquer son amusement. ? Je vous rappelle que Mandarine était censée venir ! ? réplique-t-il, tentant de reprendre le contr?le de la conversation.

  Mais ses amis ne comptent pas le laisser s’en tirer aussi facilement. Ki, jusque-là discrète, entre dans la danse avec une remarque inattendue. ? Certes, mais elle n’est pas venue… Et tu n’avais pas l’air si mécontent de danser avec Victoria au dernier bal ?, glisse-t-elle, un sourire narquois illuminant son visage.

  Mero fronce les sourcils, croisant les bras dans une posture défensive. ? J’ai simplement fait ce qu’il fallait, rien de plus. ?

  ? Bien s?r, bien s?r… ? chantonne Sven, son ton exagérément suspicieux déclenchant un petit rire chez Dorian, qui se remet enfin de sa toux.

  L’ambiance s’allège encore, devenant contagieuse. Même les princesses, d’abord spectatrices, se prêtent au jeu des taquineries. éléanor se tourne vers Ki avec un sourire complice. ? En tout cas, Ki, si Dorian trouve les princesses du Nord trop rigides, je suppose qu’il aime les défis… ?

  ? Hmm, intéressant ?, murmure Ki, feignant une réflexion profonde, ses yeux pétillant d’une malice retenue. ? Peut-être devrais-je me montrer plus exigeante avec lui, alors. ?

  Dorian, dépassé, cache son visage dans ses mains et marmonne quelque chose d’incompréhensible, provoquant un fou rire général qui résonne dans l’auberge. Les éclats de voix se mêlent au crépitement du feu et aux tintements des couverts contre les assiettes de terre cuite. Pendant un instant, Mero se laisse emporter par cette chaleur humaine, oubliant presque la convocation qui l’attend le lendemain.

  Mais malgré l’atmosphère joyeuse, une partie de son esprit reste accrochée à cette énigme : pourquoi le directeur l’a-t-il fait appeler ?

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